Herman Portocarero: dans le giron du monde
Lors du changement de générations que connut la littérature flamande au début des années 80- une relève de la garde plus qu'indispensable, que l'on attendait depuis trop longtemps - Herman Portocarero (o1952) se distingua sans doute par son opiniâtreté. Si le moderniste Herman Brusselmans (o1957) répondit par le grotesque au petit réalisme qui pointe toujours le bout de son nez en Flandre dans un tel vide créatif, et si Kristien Hemmerechts (o1955) ouvrit le drame relationnel au grand public, les ambitions n'allaient guère plus loin et l'on aurait eu fort à faire pour découvrir quelque chose de plus profond dans ce nouveau paysage fragmenté. Portocarero vint remplir ce vide en publiant un livre qui, de loin, paraissait s'apparenter à une autre tradition flamande enterrée depuis peu, celle du réalisme magique, mais qui apportait malgré tout quelque chose de fondamentalement différent - une histoire des mille et une nuits à saveur philosophique qui n'avait rien à voir avec les thèmes traditionnels.
Intitulé Het anagram van de wereld (L'Anagramme du monde), ce roman bref était l'ouvrage de quelqu'un qui gardait son regard fixé sur l'horizon. Portocarero était certes un Anversois de pure souche, mais, dans ses veines, coulait du sang espagnol - sa famille remontait aux conquistadores. Du point de vue professionnel, il trouva un exutoire à son agitation dans la diplomatie. A l'heure actuelle, à l'exception du Néerlandais F. Springer (o 1932), la littérature néerlandophone ne foisonne pas en écrivains diplomates. De toutes façons, Portocarero ne puisa pas dans son expérience professionnelle pour écrire son livre - il n'a rien du mélancolique qui se désole de la disparition du lustre colonial. Tandis que sa carrière suivait une courbe ascendante, de Paris au titre d'ambassadeur à Cuba, poste qu'il occupe actuellement, en passant par l'Éthiopie, la Jamaïque et les Nations unies à New York, son regard d'écrivain voyait le monde de façon bien différente.
Aussi étrange que cela paraisse, Het anagram van de wereld se déroule à l'intérieur, dans le monde clos d'un bordel situé dans une ville non spécifiée, à laquelle l'atmosphère plutôt sensuelle donne l'impression d'un environnement presque mythique. Portocarero a esquissé le tableau clairobscur d'un milieu énigmatique, où le personnage principal - dans ses livres, il s'agit le plus souvent d'un ‘je’ - tente de résoudre le mystère de l'éternel féminin et de ses propres motivations. Comme l'indique le titre du livre, ce microcosme labyrinthique ne se veut rien d'autre qu'une représentation du monde tel qu'il est guidé par les forces contradictoires de l'intuition et de la tyrannie. Portocarero a ramassé ainsi la réalité de cultures qui s'entrechoquent en un événement intime.
Si la critique acclama les débuts de Portocarero, la répétition des mêmes relations archétypiques dans de nombreux livres ultérieurs lassa la majorité des amateurs de littérature qui trouvaient son style un peu trop sombre. Face à la violence présente dans les ouvrages de ses collègues plus attachés à la réalité, Portocarero se retrouvait bien seul et impuissant, mais il n'en continua pas moins à travailler à son oeuvre qui, jusque dans son dernier roman Domino, porte le même regard symbolique sur la civilisation. Portocarero n'est pas détaché du monde, loin s'en faut, mais, dans sa fonction d'écrivain, il se comporte comme un